Il y a quelques décennies le château de Maulnes n’était connu que des habitants de la région et de quelques férus d’histoire et d’architecture. Grâce aux initiatives prises par le Conseil Général de l’Yonne, l’édifice qui menaçait de tomber en ruine est maintenant définitivement sauvé et a trouvé l’attention du grand public qu’il méritait. Il présente maintenant un des monuments d’intérêt international les plus connus du département. Son architecture originale et sophistiquée, non conventionnelle, surprend par son aspect austère et un peu sévère. Elle contraste avec d’autres châteaux contemporains qui montrent plus de fioritures et de fantaisies. Il faut voir ici l’influence de ses concepteurs, sympathisants des Huguenots et partisans de la pureté de la pensée et des actes.
Sa situation géographique permettait à ses habitants d’être vus et de voir jusqu’à 10 km à la ronde et il faisait un repère avant-gardiste et éclairé.
Le château de Maulnes est indissociable de la forêt du même nom qui l’entoure. Son emplacement a été choisi là pour pouvoir bénéficier des atouts que la forêt lui offrait. La forêt lui procurait le bois nécessaire à sa construction et à la couverture des frais de fonctionnement du château. Celui-ci n’avait pas de vocation défensive mais était plutôt une résidence de chasse dans les bois qui étaient réputés giboyeux.
Pourtant, la forêt de Maulnes a bien souffert des interventions humaines. Avant la construction du château elle était exploitée de manière artisanale et désordonnée pour le bois de chauffage et d’oeuvre, la construction des habitations, des abbayes et bâtiments de prestige. A partir du début du 16e siècle l’exploitation s’intensifie notamment pour alimenter Paris et Troyes en bois de chauffage.
Les trains de bois en partance du Morvan et passant par Clamecy sont bien connus du public et ont été beaucoup commentés ces dernières années. Ce phénomène a existé à une bien plus grande échelle. A la même époque toutes les régions situées en amont des affluents de la Seine ont été sollicitées pour fournir du bois aux habitants de Paris. Des régions plus accessibles que les monts du Morvan ont été déboisées entièrement à tel point que en 1817 Rougier de Labergerie, premier prefêt de l’Yonne faisait le constat suivant :
« ...les plaisirs de la chasse et les produits...ont fait conserver encore quelques forêts et des arbres...depuis Paris jusqu’aux premières limites de la Bourgogne. Mais là, cessent tout-à-coup ces heureux massif. On y voit de reste que des boqueteaux, des gens de main-morte, et on les vend.
Il est de fait que les Bourguignons, de leur côté, ont défriché tous les bois qui couvroient leurs coteaux, où la vigne pouvait prospérer ; le sol y est à nu, depuis la forêt d’Othe, de Joigni, jusqu’à Avallon, à Semur et à la Saône ; l’amour des vignes leur a inspiré contre les arbres une sorte d’antipathie qu’ont même partagée les membre des états. Et aussi, quand le voyageur, de Paris à Lyon, voit s’arrêter la ligne des arbres de la grande route, et il est frappé de la triste uniformité des monts, sur lesquels il n’y a pas d’arbre : il peut se dire qu’il entre dans la Bourgogne. »
En effet, tous les bois situés à moins de 10 km d’une voie d’eau importante, Armançon, Serein, Yonne ont été rasés. Ainsi, la région situé entre Serein et Armançon, depuis leur jonction à Migennes jusqu’aux sources dans le Morvan était complètement dénudée. Certes, depuis, des replantations ont eu lieu et la déprise agricole a permis la forêt a regagner du terrain mais les massifs forestiers n’ont pas retrouvé la biodiversité végétale et animale des forêts originaux. De nombreuses « voies » de bois sont parties de la forêt de Maulnes, d’abord en passant par Laignes et la Seine, pour regagner Troyes mais surtout Paris. Rapidement le transport par l’Armançon a été préféré en passant par le val de Quenouil ou Fraiche Fontaine pour regagner l’embarcadère de St. Martin sur Armançon.
Les forêts du tonnerrois ont également subi cette rage auto-destructrice, la rive gauche était déboisé jusqu’au Serein, la rive droite jusqu’aux bois de Flogny , Dannemoine, Coussegrey, Thorey, Quincy etc.
La forêt de Maulnes semble avoir moins souffert de ce massacre. Une biodiversité assez intéressante y est encore observable.
L’exploitation des mines de charbon a sauvé la forêt française d’une destruction totale.
En France, l’opération Restauration des Terrains de Montagne (RTM) mise en place à la fin du 19è siècle à permis, grâce à des plantations massives, de stopper l’érosion massive des Hautes Alpes, des Alpes Maritimes et du Massif Central, soumis depuis des siècles au défrichement intensif suivi de surpâturage.
Ces opérations n’ont toutefois pas porté suffisamment d’effets pour éviter les inondations dramatiques que les habitants de ces régions doivent subir encore aujourd’hui.
Aujourd’hui une nouvelle menace se profile pour la forêt française. L’abandon préconisé de toute énergie d’origine fossile fait tourner le regard à nouveau vers la forêt qui, c’est vrai, a repris quelques forces depuis que le charbon puis l’électricité ont remplacé le combustible vert.
Les besoins en énergie sont bien plus grands qu’il y a un siècle et les habitants plus nombreux. De nombreux peuples aspirent à sortir de leur situation misérable et à accéder au mode de vie occidental et consommer autant d’énergie que nous.
Les forêts du monde entier sont mises à contribution pour satisfaire notre soif d’énergie. La forêt tropicale rétrécit à vue d’oeil, laissant derrière elle des plaines stériles ou l’on pratique une monoculture inquiétante d’OGM destinés à nourrir notre cheptel.
En France, l’agriculture intensive a déjà fait disparaître les haies, les bosquets et les arbres isolés de notre paysage. Aucun barrage s’oppose à l’ érosion éolienne et hydrique. Des millions de M3 de terres arables et fertiles de trouvent emportées vers la mer et laissent une terre appauvrie qui n’est plus capable d’assurer les rendements sans le recours aux fertilisants artificiels.
Nos forêts, vont-elles survivre à une nouvelle vague de folie destructrice qui risque de nous emporter avec ?
Actuellement les forêts du tonnerrois sont déjà exploité de manière intensive. Depuis quelques dizaines d’années d’importantes transformations encadrées par l’ONF ont eu lieu. Elles ne sont pas toujours bien visibles pour le simple passant, souvent un rideau d’arbres cache les travaux et déboisements en cours.
Une photo aerienne de la forêt de Maulnes permet de se rendre compte de l’artificialisation du paysage. Non, il ne s’agit pas d’un patchwork d’art végétal, mais bien d’une organisation d’une véritable « usine à bois »
De tels aménagements sont visibles dans toutes les forêts de la région gérées par l’ONF : Pontigny, Châtel-Gérard, Othe.
Les parcelles plus sombres correspondent a des plantations de résineux qui datent de 10 à 20 ans à la place de coupes à blanc des populations de feuillus. Entre les rangs sont laissé de larges allées qui permettent d’accéder aux plantation pour les éclaircir.
Les feuillus encore en place sont abattus par rangées de 7-8 mètres entrecoupées de bandes arborées de même largeur. Dans ces bandes on a quand même pris soin de retirer en passant par l’allée créée précédemment, tous les fûts et tiges présentant une dimension suffisante pour l’exploitation. Il ne reste donc que quelques rémanents et jeunes tiges qui vont se développer pour former un réservoir de bois à couper pour le prochain passage. Ce mode d’exploitation semble à première vue moins destructrice mais c’est aussi une coupe à blanc déguisée.
Une fois les parcelles ainsi délestées de tous les feuillus, elles seront prêtes à être enrésinées.
Tel est le sort de tous nos forêts et bois. Ils vont être transformés en champs d’arbres destinés à alimenter nos poêles à granules et co-générateurs.
Les conséquences de ces transformations.
Patrimoniales
Le château de Maulnes constitue un trésor patrimonial incontestable. Sa forêt fait partie intégrale de son histoire et doit être considéré comme un patrimoine naturel dont on doit conserver le caractère authentique.
Biologiques
La conversion vers une forêt de résineux affecte durablement les sols, va faire disparaître définitivement certaines espèces animales et végétales caractéristiques du milieu. Un retour en arrière sera très difficile.
Les coupes à blanc ont comme effet immédiat d’exposer les sols, pendent les premières années, directement au rayonnement solaire intense de l’été. A cela s’ajoute le va et vient des engins d’exploitation et de débardage. Les espèces habituelles du sous-bois vont disparaître (micro-mammifères, amphibiens, mollusques et insectes ainsi que leurs prédateurs. Les coupes répétés dans les parcelles voisines ne permettent pas les populations de se restituer et elles finissent par s’affaiblir et s’éteindre.
Géologiques
Dans les parcelles, même partiellement coupées, le sous-sol va se déshydrater et se fragmenter. L’érosion augmente et la fertilité du sol diminue d’autant plus que il n’y a moins d’apport de humus par le bois mort et les feuilles. Avec moins d’humus au sol, celui-ci ne peut plus jouer son rôle d’éponge pour absorber les eaux de pluie. Ces eaux vont couler plus vite vers les rivières et en augmenter les débits. Elles ne seront plus absorbées par les arbres qui les font retourner dans l’atmosphère par évapotranspiration. Le cycle de l’eau s’en trouve perturbé et les conséquences météorologiques seront : plus de sècheresse et de chaleur.
Les plateaux du tonnerrois ont beaucoup souffert de la sècheresse en 2015. Une surface arable de faible profondeur, un terrain calcaire très absorbant, pas de végétation en surface pendant une longue période de l’année, qui permettrait de fixer l’humidité, pas d’obstacle au vent qui éviterait l’évaporation rapide de la surface.
L’exploitation intensive des forêts du tonnerrois va encore accentuer les problèmes estivaux.
Alors que nous sommes soumis aux restrictions d’eau, dont l’exploitation forestière et agricole sont en partie responsable, nous nous apprêtons à aggraver la situation en détruisant encore plus le milieu, en pompant encore plus dans la nappe phréatique afin de faire fonctionner des installations de rentabilité douteuse et de nocivité certaine pour notre environnement.
Économiques
La mécanisation poussée de l’exploitation forestière ne fournit que peu de travail. Le travail physique qui reste à la charge des ouvriers du bois, est souvent pénible et mal payé et en conséquence souvent attribué à des employés issus de pays défavorisés.
L’exploitation intensive des forêts du tonnerrois est déjà en marche et le projet de co-générateur va généraliser la mise en coupe réglée de notre patrimoine naturel et de nos ressources économiques à long terme.
’ne scions pas la forêt par laquelle nous vivons’