Roger Prigent n’en pouvait plus. Le 14 juin 2019, excédé après des années à ruminer sa colère, il a pris son fusil et tiré dans une cuve d’épandage de pesticide. Cet apiculteur retraité de 67 ans avait déjà subi plusieurs faillites, vu son cheptel mourir et son activité s’écrouler. À cinq reprises en moins de quinze ans. « Là, je suis sorti de mes gonds, dit-il à Reporterre au téléphone. On nous empoisonne. Mes abeilles, c’est ma vie. »
Dans le massif du Morvan, à Marigny-l’Église (Nièvre), ses voisins cultivent des sapins de Noël. Loin de l’image bucolique qu’elles peuvent véhiculer, ces plantations sont devenues intensives. En France, un sapin vendu sur quatre vient de la région. Soit plus de 1,2 million chaque année. Ces champs d’arbres, tracés au cordeau, sont traités comme des parcelles de maïs, arrosés, sous perfusion d’engrais et aspergés de produits phytosanitaires.
« Quand ils épandent des pesticides, le nuage s’étire parfois sur un kilomètre, raconte Roger. Ils utilisent des fongicides, des herbicides, et même du glyphosate. » L’apiculteur habite à quinze mètres de la parcelle. « Ça se passe sous nos fenêtres. On respire tous les résidus toxiques. » Il y a quelques années, Roger a même attrapé un cancer. « Je peux rien prouver mais je suis sûr que c’est lié. À une époque, ils passaient le pulvérisateur toutes les deux semaines. »