La forêt brûle, plantons des arbres. Pour faire face aux conséquences du changement climatique sur la forêt, Emmanuel Macron veut planter un milliard d’arbres en dix ans. L’annonce a été faite l’été dernier lors d’un déplacement en Gironde après les mégafeux dans le massif forestier des Landes. Elle est devenue le pivot central du plan national de renouvellement forestier qui devrait être adopté à l’automne.
Le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, en a dévoilé les contours fin juillet sur la base d’un rapport remis par le Conseil supérieur de la forêt et du bois (CSFB) – une sorte de « Parlement » de la forêt qui réunit les ministères compétents, des élus, des organismes publics, des représentants de la filière et de la société civile.
L’ambition est quelque peu mégalomane : planter un milliard d’arbres en dix ans, soit cent millions d’arbres par an. Un niveau jamais atteint dans l’histoire forestière française et l’équivalent de dix fois la superficie de Paris chaque année. Un chiffre qui ne prend pas en compte les plantations en gestion courante, ni les plantations dans les villes ou encore les haies ou les bosquets sur les zones agricoles. Le coût total est estimé entre 8 et 10 milliards d’euros par le CSFB.
L’objectif principal est de « combiner la nécessité de produire davantage de bois » avec celle d’augmenter le puits de carbone forestier français – un pilier de la stratégie nationale pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Le tout dans un contexte de perturbations climatiques. L’équation est épineuse et la stratégie du gouvernement pleine de zones d’ombre.
Une réalité plus complexe
Les arbres ont la capacité d’absorber le CO2 – le gaz à effet de serre principalement émis par la combustion des énergies fossiles et responsable du dérèglement climatique. Ils l’utilisent pour leur fonctionnement métabolique et leur croissance. Tant que l’arbre est en vie, le CO2 reste piégé dans son tronc, ses branches, racines et feuilles, d’où son surnom de « puits de carbone ». Plus d’arbres au sol reviendrait à moins de carbone dans l’air, et serait donc une solution pour lutter contre le réchauffement planétaire. Mais la logique de la nature déréglée par les activités humaines est plus complexe.
La forêt française ne cesse de croître depuis deux siècles. Elle a encore augmenté de plus de 20 % en trente ans à la faveur de la déprise agricole. Mais la pompe à carbone dysfonctionne. La forêt française absorbe deux fois moins de carbone qu’il y a dix ans. Dans certaines régions, comme le Grand Est, la forêt – dont la superficie est en croissance – est devenue émettrice de carbone.
Ce phénomène a été expliqué dans un rapport récent de l’Académie des sciences. D’abord, il y a les incendies, dont les occurrences et l’intensité s’accélèrent en raison du dérèglement climatique. En brûlant, un arbre rejette le CO2 stocké au long de sa vie. Les mégafeux au Canada ont ainsi relâché dans l’atmosphère près de 1 064 millions de tonnes de CO2 depuis le début de l’année, selon les derniers chiffres du service européen de surveillance de l’atmosphère Copernicus. Soit plus de trois fois les émissions annuelles de CO2 de la France.
Au-delà de ces évènements extrêmes qui vont se banaliser, c’est surtout la santé de la forêt qui est en cause. Les arbres poussent moins vite en raison du manque d’eau et leur mortalité a aussi augmenté de 54 % en dix ans à cause des sécheresses et des attaques de ravageurs. Tous ces phénomènes sont liés au dérèglement climatique.
Mais les chercheurs pointent aussi l’exploitation forestière, un taux de prélèvement qui est passé de 55 à 65 % en dix ans et des pratiques de sylviculture intensive qui fragilisent la forêt. Dans sa stratégie forestière face au changement climatique, le gouvernement choisit pourtant de lever ce curseur à la hausse et de rester pour le reste sur la logique de base : plus d’arbres équivaut à moins de carbone et en passant, plus de bois à valoriser pour la filière sylvicole.
80 % des arbres « Macron » seraient plantés après coupe rase
Selon les projections du CSFB, sur le milliard d’arbres voulu par Macron, seuls 7 % viendront s’ajouter aux forêts existantes, principalement sur des terres agricoles abandonnées. Pour le reste, il s’agit de remplacer. Littéralement. Plus du trois quarts des plantations auront lieu « en plein », c’est-à-dire après coupe rase. Une pratique sylvicole qui consiste à abattre des parcelles entières pour y replanter de jeunes arbres.
Elle est « à éviter autant que possible », selon l’Académie des sciences. « Les impacts écologiques et climatiques sont trop importants », rappellent les académiciens, dont le climatologue Philippe Ciais. « La plantation consécutive à une coupe rase émet du carbone pendant plusieurs années voire plusieurs décennies. »
Une vaste expertise scientifique, commandée par le ministère de la transition écologique et le ministère de l’agriculture, a rendu des conclusions semblables à l’automne dernier. « Les effets de la coupe rase sont globalement bien documentés et généralement négatifs », indiquent 70 experts, soulignant – outre les pertes de carbone – de multiples effets sur la fertilité des sols, la biodiversité, l’érosion, ou encore les cours d’eau.
Face au consensus scientifique et à la contestation citoyenne, le ministre de la transition écologique Christophe Béchu avait même fini par évoquer la fin du financement des coupes rases lors d’un déplacement en Gironde en avril dernier. Ce n’est plus, semble-t-il, à l’ordre du jour.