Les scientifiques ne savent pas encore quelle est l’ampleur de la menace ni où elle frappera en premier, mais ce qui est clair, c’est que le sol gelé en permanence de l’Arctique, appelé pergélisol, est en train de fondre, menaçant de libérer de sa prison glacée d’énormes quantités d’un combustible fossile extrêmement puissant.
Le permafrost fond
Le permafrost (pergelisol en anglais) désigne des étendues immenses de sols gelés toute l’année. Il recouvre un bon quart des terres émergées de l’hémisphère Nord, en Russie, au Canada et en Alaska. Les sols de ces régions sont composés de masses de glace pure qui s’accumulent sur des épaisseurs allant de quelques centimètres à plusieurs centaines de mètres.
Ces sols gelés en permanence renferment 1 700 milliards de tonnes de CO2 piégés là depuis des millénaires sous forme de matière organique gelée, c’est-à-dire de restes de plantes pourries et d’animaux morts depuis longtemps, séquestrés dans les sédiments et recouverts ensuite par des couches de glace. Le chiffre de 1 700 milliards représente le double du dioxyde de carbone déjà présent dans l’atmosphère, dont on connaît les conséquences sur le climat actuel et futur.
Avec la hausse des températures, le permafrost se réchauffe et commence à fondre, libérant progressivement les gaz qu’il neutralisait jusque-là. Et le phénomène devrait s’accélérer, selon les scientifiques, qui décrivent un cercle vicieux : les gaz émis par le permafrost accélèrent le réchauffement, qui accélère la fonte du permafrost. Et en matière de réchauffement, l’Arctique bat en ce moment tous les records.
Un gaz toxique pour le climat
Contributeur majeur au changement climatique, le méthane (CH4) a un pouvoir de réchauffement sur 100 ans environ 30 fois supérieur à celui du CO2. Sur les vingt dernières années, ce gaz a quatre-vingt-quatre fois plus réchauffé la planète sur les deux dernières décennies que le dioxyde de carbone (CO2). Selon les Nations unies, le CH4 serait à l’origine d’environ 30% du réchauffement climatique depuis l’ère préindustrielle. Un quart des émissions anthropiques de ce gaz à effet de serre provient de l’exploitation mondiale du charbon, du pétrole et du gaz naturel, dont le CH4 est le principal composant.
En février 2022, pour la première fois, une équipe de recherche internationale, pilotée par le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CNRS/CEA/UVSQ) associé à la société Kayrros, a quantifié mondialement les plus abondantes des émissions de méthane libérées dans l’atmosphère par le secteur des hydrocarbures. Il peut s’agir de rejets accidentels ou liés à des opérations de maintenance, qui conduisent à des fuites très importantes. Les chercheurs ont pour cela analysé de façon systématique des milliers d’images produites quotidiennement pendant deux ans par le satellite Sentinel-5P de l’ESA. Ils ont ainsi cartographié 1 800 panaches de méthane à travers le globe, dont 1 200 ont été attribués à l’exploitation d’hydrocarbures. Ils estiment que ces « fuites » ont un impact climatique comparable à celui de la circulation de 20 millions de véhicules pendant un an. Cela, c’était sans compter la fonte du pergélisol et la libération du méthane piégé dans les glaces.